Tamise hazard
Journal de bord du Lorelei Aout 2003
Mardi 12 août 2003
C’est en fin de matinée, que le Lorelei quitte le quai de Gravelines. Une marche arrière décidée nous extirpe de notre place de ponton.
A bord Jean François, Anna et moi-même.
Après une semaine d’intensifs bricolages qui peuvent se résumer à : « chercher la fuite dans le compartiment avant », je vais enfin profiter de quelques jours de croisière. Jusque là, alors que la France gémissait sous une chaleur mortifère, j’avais poncé, plastifié, colmaté, mastiqué, vécu dans une solitude laborieuse, comme une sorte de clochard nautique dont la peau, irritée par les poussières de plastique, d’acétone et d’autres solvants, n’avait rien à envier aux galeux. Douches, douches, et encore des douches pour faire cesser les démangeaisons.
Au final une journée de nettoyage de la cabine fut nécessaire, pour éliminer cette fine poussière blanche.
Les épreuves étaient passées, une vague odeur de styrène flottait encore dans la cabine alors que nous prenions la mer.
Le vent ? Bien sûr le vent !
Il était faible et d’Ouest. Nous glissions sur le canal, presque à pleine mer, sur une eau verte assagie par l’étale annoncée.
Et voilà que dehors, à peine les voiles hissées, la brume nous enveloppe. Une brume en écharpe, puis au fur et à mesure, de plus en plus épaisse. Nous y entrons comme dans une forêt.
Les autres voiliers sortis pour la journée regagnent le port. Nous saluons et nous voici bientôt dans une bulle opaque, mais bruyant comme un ferry. J’ai dans les coffres la corne de brume du supporter de football. Elle complète et remplace la corne en plastique réglementaire, si faible et qui nous essouffle. Un long deux courts, toutes les deux minutes maximum : «Voilier en marche selon les règlements nautiques ». Un espoir : que les autres se soient aussi plongés dans les mêmes lectures des textes officiels!
Le réflecteur radar tout neuf est hissé en vitesse sur le bas-étais. Et voilà déjà que les
évènements s’accélèrent. Sous le foc surgit un voilier, dont le skipper jusque là silencieux cède en hurlant la priorité qu’il nous doit. Et pourtant nous cornons. Anna devant, Anna derrière. Un long, deux courts : La réponse est longue grave et solitaire .Crispations .
Quelque part un grand navire est en route. Devant à tribord, puis sur le coté, et enfin sur l'arrière semble t il. Difficile d’évaluer s’il s’éloigne ou se rapproche. Nous cornons, nous cornons, et sortie de la brume, une voix métallique portée par un haut-parleur nous interpelle. Un sabir inconnu incompréhensible. Magique et inquiétant. En réponse un long deux courts. Soulagement le coup de sirène suivant est bien sur l’arrière, nous entendons le moteur du cargo, vibration lourde dans l’étoupe, avant de le voir. Cent mètres, deux cent mètres difficile de juger la distance mais nous sommes passés devant.
Nous croiserons encore quelques barques au mouillage. La brume joue avec mes nerfs, se lève par pans entiers, soulageant mon angoisse, puis revient, puis se lève à nouveau définitivement.
Le bateau est en route pour Ramsgate. Le temps est clément, nous péchons les premiers maquereaux de l’été. Anna apprend à les tuer le plus vite possible après les avoir caressés une dernière fois au fond de leur seau, comme pour s’excuser du geste tranchant qui allait suivre. Comme dans l’antiquité elle demande par avance pardon à l’animal qu’elle sacrifie.
Anna se baigne et saute du bateau immobilisé dans les calmes. Le soir sur une mer d’huile, je vois pour la première fois des dauphins chassant en mer du Nord.
Ramsgate à la nuit tombante. Attente devant le port : Un ferry rentre de France. Un pécheur crie à notre approche des appels intermittents que nous prenons pour des invitations à nous éloigner de ses lignes ou filets. Quelques minutes plus tard le canot de sauvetage viendra le chercher. Il nous appelait à l’aide sa barque sans doute en panne de moteur. Honte à nous.
Anna résume la journée. Bains, dauphins, poissons tout y est.
A l’heure de se mettre au lit désenchantement. Sa peau d’enfant, sensible, réagit aux poussières de plastique qui malgré de nombreux nettoyages hantent encore le bateau. Elle se gratte, elle gémit et s’endort, est-ce une consolation, dans les bras de son bourreau, qui n’a pas poussé le nettoyage assez à fond.
Je m’en veux et m’en voudrais encore trois jours durant.
Mercredi 13 août 2003
La marée et les courants à l’embouchure de la Tamise imposent un départ matinal. Nous aurions bien traîné un peu. Et jean n’aura vu de Ramsgate que quelques pontons et digues de briques, mais au fond, peut être le plus joli de cette ville délaissée.
Le moteur nous tire jusqu’à l’embouchure de la Tamise tant le vent est faible et le courant dans le nez. Puis nous prenons la passe sud, la plus courte. Au programme, devant nous, dans la brume de chaleur, South Channel, Gore Channel, Horse Channel, et quelque chose comme Kentish Flats. Flats qui résonne dans ma tête comme plate, plate comme haut-fond et ennuis. J’hésite, j’hésite, mais la marée sera montante quand nous passerons sur ces hauts-fonds mal signalés comme le précise le guide nautique.
Il y a la théorie et le sentiment. Va pour la théorie. Les petites taches vertes sympathiques de la carte anglaise devraient être couvertes de quatre à cinq mètres d’eau quand nous serons dans leurs parages. Et encore faudrait-il une erreur de navigation pour passer dessus. Pourtant nous fûmes particulièrement vigilants pour guetter les bouées.
Voici le Horse Channel, qui marque la fin des incertitudes. Anna peut à nouveau se baigner. Jean semble moins atteint qu’hier par le mal de mer. Au crépuscule devant l’île Sheppey nous accrochons une bouée de Queenborough. Dans le coude du Swale, une rivière, aux berges industrielles, au lit encombrée de demi-épaves. Le mouillage n’a aucun charme. J’insiste pour découvrir un peu la ville. Nous gonflons l’annexe et d’un coup de courant nous voilà au débarcadère. Surprise, il nous faudra payer une taxe pour aller à terre ou plus exactement pour revenir à bord. Deux membres du club sont très occupés à emmêler des fils de fer barbelés autour d’un portique posé sur la vase afin de décourager les resquilleurs. Très fier de leur portillon automatique, ils ont comme des sots transformé une jetée en entrée de banque. Ce système insolite est censé compenser les pertes de revenus imputables aux plaisanciers de passage qui ne règlent pas la nuit au mouillage. Il y a quelques années ces anglais faisaient plus simple. Un gardien vous abordait aux aurores et réclamait son du. Il saluait. Nous échangions quelques informations et des salutations. Désormais c’est moderne. Un jeton à acheter au club nautique ou au pub permettra votre retour à bord. Les douches sont minables avec des systèmes de réglage d’eau chaude si subtile qu’après s’être copieusement brûlé-on accueille avec joie une eau subitement glacée. La barmaid indifférente sert avec des gestes d’automate. La promenade comme le reste s’avère décevante. Jean me l’avait bien dit, mais maintenant, j’en suis sûr : Queenborough n’est qu’une escale pour dormir et attendre la renverse de courant pour monter à Londres.
Jeudi 14 août
Comme chaque matin, la même angoisse au ventre dans le petit jour qui se lève : Celle de regarder partir les autres voiliers, alors que nous ne sommes pas encore tout à fait prêt. Où vont ils ? Quelle marée à saisir ? Raterons nous le coche.
Vers 10 heures nous larguons la bouée et sortons de la rivière Midway. Sur les quais de Sheerness le chargement des voitures continue sur de nouveaux cargos. Entre les cheminées d’immenses centrales électriques et les réservoirs de carburant blancs, commence la Tamise. Noueuse, boueuse perfide. Nous naviguons sur des hauts fonds. A notre droite, une épave noire dresse dans le matin, des mats de charge désespérés. Un œil sur le sonar . Cap au Nord puis à l’Ouest vers London au bout du fleuve.
Onze heures nous sommes toujours au moteur. Je laisse la barre à jean pour faire un petit somme à l'avant.
Cela ne durera pas dix minutes.
Vite interrompu par le silence que je n’aime pas. Celui du moteur. Je sors de la cabine, j’ai l’espoir de voir Jean occupé à quelque baignade. Je le regarde et d’un coup d’œil je vois que mon optimisme est vain. Il a dans les yeux le regard étonné de ceux qui s’interrogent sur le mutisme soudain, d’une machine jusque là sans caprice.
- « Je n’ai touché à rien ! »
J’ai dans l’oreille la manière nette dont le moteur a stoppé, sans hésitation en trois coups de piston decrescendo.
Je ne suis pas particulièrement superstitieux, mais avec le temps je m’interdis et j’interdis aux autres toutes louanges sur la fidélité et la fiabilité de ce moteur . Après 23 ans de vie commune, j’ai assez souffert de son esprit de contradiction. Un compliment et la panne survient dans les heures qui suivent. Il ne faut rien dire, et maintenant même, rien penser. J’avais eu le tort, dans mon for intérieur, de vanter ma maintenance de l’hiver. Depuis octobre il tournait comme une horloge à chaque sortie. Je l’avais amplement gratifié de filtres neufs, de courroies rutilantes, d’huile vierge première pression à froid.
Dans un esprit un brin putassier et flagorneur, nous l’avions surnommé lorsqu’il flottait en méditerranée « Monsieur Yanmar ». Quand le vent par trop tombait, pour éviter la cuisson du calme blanc, nous le flattions ainsi : « La solution s’appelle Yanmar » et il partait. En route pour les îles.
Avec le temps son caractère est moins facile. A moi de lui faire offrande. Et c’est à genou devant lui que je me prosterne désormais avec mes clefs à pipe comme des amulettes de sorcier pour purger un circuit de gasoil défaillant.
Ca pue, ça coule, et cela ne marche toujours pas.
Trop d’enthousiasme, trop d’angoisse je serre et casse une pièce. Toute réparation sur place est désormais impossible.
Nous appartenons désormais au fleuve. Le vent est absent ou si faible et le courant nous pousse vers Londres à plus de deux nœuds. Il faut viser juste, les cargos passent et ignorent, dans l’étroit chenal, que nous sommes pratiquement dans l’impossibilité de barrer. Il nous faut anticiper deux ou trois méandres à l’avance pour ne pas se trouver sous leur proue.
Les hauts-fonds s’en mêlent et compliquent une navigation déjà peu commode. Lentement mais sûrement la loi de l’emmerdement maximum se met en place. « Valentine » Ferry gris et rouge vient nous draguer sur bâbord.
Le remorqueur qui nous dépasse ensuite ignore nos appels radios et comme j’ai modérément envie de me faire tracter par des bateaux de cette taille là, je n’insiste pas. L’inquiétude, le stress, mais pas encore la détresse.
Une bouée verte permet une position exacte sans recourir au GPS et au report sur la carte.
Sur la rive en face à quelques milles le « Mac Millan » guide nautique indique avec un petit pavillon rouge YC : Yachting Club.
Des yachtmen dans cette contrée hostile, une ville et peut être des mécanos, allons rêvons un peu : un agent Yanmar désœuvré qui me guette déjà préparant son stock de pièces détachées, c’est possible, peut être même probable.
Avec le souffle de l’espoir nous franchissons le fleuve plus brun et tourbillonnant que jamais. Le mouillage de Gravesend aligne quelques voiliers entre des chalands, des péniches pétrolière et des remorqueurs. Il faut viser. Jouer aux vecteurs : Une composante courant, une composante dérive et pratiquement pas de vitesse, c’est la trajectoire de tous les soucis. A frôler les barges à l’ancre, on perçoit un murmure de menace : Le courant émet un clapotis ironique sur leur voûte. Tout va vite, très vite. Les premières bouées jaunes déclinent les sollicitations de la gaffe de Jean François. Raté, encore raté, il reste une chance et après plus loin à cinq minutes c’est l’échouage assuré sur le Pier dont on ne pourra pas se dégager à temps. On mouille l’ancre sans orin en priant pour qu’elle n’accroche que de la vase.
La chaîne me file entre les doigts . On bloque. Suspens… L’amarre vibre sous l’effet du courant, le voilier fait tête. Croché. Le naufrage s’éloigne.
Un coup d’œil autour de nous . Une barque avec marqué en grosses lettres rouges sur la coque « RESCUE » circule entre les bateaux . Je siffle . Ils sont loin et ne nous entendent pas. Jean François ressort la corne de brume . Effet immédiat. Les lettres « RESCUE » s’affichent cinq minutes plus tard le long de notre coque . Roger, un grand-père hilare et son petit-fils montent à bord.
Nous allons apprendre comment les anglais perpétuent la tradition d’entraide des gens de mer.
Embarquement pour le club, Anna et moi allons chercher de l’aide. C’est la journée portes ouvertes et tous les responsables du club de voile sont sur le quai pour accueillir le public et tenter de convaincre de nouveaux membres de naviguer sur ce perfide plan d’eau. Il faut dire que la partie n’est pas commode. Pour naviguer ici
Premierement attendre la marée haute.
Deuxièmement mettre à l’eau avec une grue des petites embarcations capables de lutter contre vent et courants, de virevolter sur la Tamise entre les cargos et de rentrer avant que les bancs de vases asséchés n’aient rendu le club inaccessible depuis la rivière.
Aujourd’hui c’est beau temps, des vieux messieurs dignes avec blazer bleu marine et gilet de sauvetage orange s’activent sous la grue. Les dériveurs montent et descendent le long du quai. Peu de temps hélas pour savourer ce spectacle nautique je n’ai qu’une pauvre phrase en tête .
« My engine is out off order. I need help »
De Commodore du club en vice président, je renouvelle les présentations et les suppliques. Me voilà emmené de l’autre coté de la rue. Nous traversâmes un terrain vague et je découvris les docks de Gravesend : Un bassin rectangulaire de trois cents mètres de long et d’une cinquantaine de large. Un pan entier du bassin est occupé par un immeuble à la façade brun- orange. Il se reflétait hésitant dans l’eau encore plus marron du dock. Une vingtaine de bateaux attendait qu’un skipper les sorte de cette prison. Sur l’un des quais le club de voile entassait quelques coques défoncées. Sur cette espèce de terrain vague un appentis de bois et de taule servait de remise et d’atelier. C’est à l’ombre de celui ci que devait venir mon secours.
Là deux personnages tout juste sortis de « La rue de la Sardine » savourent une Ale dans le semblant de fraîcheur
Voici Bob la soixantaine, de l’embonpoint, un goitre qui lui avale le coup et donne à ses épaules puissantes encore plus de force.
- « Bob construit son bateau et il mécanicien, il pourra t’aider .»
Présenté aussi directement par le responsable du club, je recommence le chapitre des lamentations : My engine is out off order….
Et je me vois à l’instant tel que je suis. Le type stressé tombé du ciel qui parle trois mots d’anglais et va leur pourrir leur journée avec des problèmes qui ne les concernent pas.
A coté de Bob, se lève lentement un maigrelet dont on ne voit immédiatement que le nez. Un nez violet , boursouflé, veineux, une encyclopédie charnue de tout ce qui se consomme sous forme de liquide. Le reste du visage fait, si l’on peut dire, pale figure à coté de ce nez fascinant. Il y des bouteilles brunes au pied de Daniel’s et quelques-unes sur l’établi.
Si lent qu’il soit Daniel’s me ramène à la politesse, main tendue.
- « Daniel’s ! and Bonzo »
Et Daniel’s me présente un ratier noir et blanc qu’il tient amoureusement comme un bébé sur son pull en guenille.
Daniel’s et Bonzo, Bob, les dérives alcooliques sont-elles toujours des naufrages ?
Bob, Daniel’s Bonzo , Anna et Peter. Les présentations sont faites et pour discuter plus facilement en route vers le bar du club.
Bob me paye un coup. Au milieu des gentlemen de la journée portes ouvertes le trio dénotent franchement, mais nous sommes en Angleterre, il en faudrait plus pour faire vaciller la barmaid.
Pour tout dire, je n’ai pas soif et mon envie immédiate est de voir Bob à l’œuvre. Mais j’ai l’expérience de ce genre de situation .
Flash back.
Italie année 80 . La Magdalena dans le détroit de Bonifacio. Je m’avançais dans un hangar sombre de l’arrière-port une bôme en deux morceaux dans les mains.
Devant moi dans la pénombre un bric à brac de tours, de chalumeaux, de fer à souder, et le soudeur encore en bleu .
J’explique et je montre l’espar brisé. Les gestes suivent. Je mime la pièce, le manchon. Le papa dans la maman et comment la bôme pourra repartir vers la Tunisie et moi dessous par la même occasion. Il est des italiens taciturnes autre que des capi mafiosi. Sans un mot le soudeur m’entraîne dans un coin encore plus sombre de l’atelier. Il me montre, dans un bac de ciment qui sert de lavabo, une forme arrosée régulièrement par le robinet.
« Alla cinque » et justement il est cinq heures. La bouteille de vin blanc de l’île aura raison de sa serviabilité. Je repartirais ma bôme en deux morceaux sous le bras sans avoir bu un coup avec lui.
L’erreur était là. A distance j’en suis certain.
Alors rien que pour le plaisir, parce que je n’ai plus vingt ans, que je sais un peu plus vivre, je peux et je veux me taper une ou deux brunes ou blondes avec Bob et Daniel’s
- « Je vais t’aider gratuitement car demain quand je serais aussi en panne j’aimerais que l’on en fasse autant pour moi » Bob a les principes simples des optimistes.
Je ne sais si Daniel’s a aussi des principes, mais en tous les cas il les garde pour lui. Il sirote en silence et avec un plaisir évident cette occasion supplémentaire que la générosité de Bob lui offre. Anna contemple fascinée les tatouages sur ses phalanges.
Assez bu il faut agir avant que la marée n’isole notre mouillage.
Nous voilà rembarqué avec notre mécano sur un nouveau canot au propriétaire aussi hilare que le précédent. Bob se hisse à bord et examine le Yanmar silencieux, il comprend assez vite ma gaffe et ses solutions me rassurent un peu. Ce qu’il propose est cohérent. Cet Anglais a déjà approché un moteur ce dont jusqu’à présent je n’étais pas vraiment certain.
Jean François a senti aussi l’ambiance et fait les honneurs du bord. Par chance, il nous reste une bière au frais.
Retour au quai en remorque. Nous tirons le Lorelei derrière l’écluse dans les docks de Gravesend. Le calcul est simple. La mer baisse à nouveau et dans quelques heures le club sera inaccessible, envasé, le mécano au bar, et nous planté là avec ou sans réparation.
La contrepartie est que nous ne sortirons des docks que demain à la pleine mer soit trois heures de l’après midi et qu’il faudra attendre jusque samedi la renverse de courant favorable.
Deux jours sont ainsi perdus.
La voile est une école de patience alors quitte pour les deux jours perdus, nous nous amarrons dans le grand bassin glauque en face de l’atelier. Sur le quai le bazar nautique habituel. Des dériveurs renversés, des bidons gras, des remorques, de vieilles coques délabrées composent un paysage démoralisant .
Jean affligé par la laideur de l’environnement disparaît en ville avec Anna pour faire quelques courses et se distraire. Devant tant d’horreur autant soigner son look, Il se choisira avec grands soins des pantalons pour l’hiver ou la demi-saison.
Bob et Daniel's m’entraînent en ville pour remplacer la vis cassée. L’espoir renaît.
Nous avons acheté quatre vis pour remplacer celle que j’ai brisée. Le détail a son importance
Il faut les travailler. Les percer pour que le combustible les traverse.
Cette promenade en ville a bien entendu donné soif aux anglais. On repasse par le Pub. Il faut se battre pour payer une pinte.
Daniel's regagne le premier l’atelier, et commence à ma grande angoisse à scier la première vis. Je ne sais pas combien il a absorbé de litres aujourd’hui, mais je ne suis pas étonné de le voir jeter assez vite la pièce mal coupée. Quand il attaque la seconde je vais chercher Bob qui a entamé une conversation avec la barmaid, et perfide je lui glisse que son copain réclame son aide.
Daniel's n’a pas perdu son temps, la deuxième vis, au profil incertain, ne rentre pas dans son logement.
Bob reprend avec un calme effrayant le boulot. Je tourne un peu autour de lui et mon inquiétude se sent trop . Il s’agace.
« Peter quand tu pourras voler de nouveau je te le dirais » et avec les bras il fait de lents battements. Avec son teint anglais, son goitre et ses cheveux blancs on dirait un pélican .
Je m’éloigne et observe de loin avec angoisse comment bob, arc bouté sur une petite perceuse électrique fore un trou de quelques millimètres dans l’acier inoxydable.
Au total les quatre vis furent nécessaires.
Les pièces en ordre, Bob et Daniels retournent au bar pour la cup of thé. Moi je retrouve le moteur et son indescriptible arôme de graisse antique et de gasoil.
Récompense cependant . A 17 heures, il tourne à nouveau.
Mais l’écluse est maintenant fermée, nous sommes pris au piège jusque demain 15 heures, au retour de l’éclusier.
Je rameute les deux anglais et nous attaquons la réserve de Vodka du bord pour fêter les vibrations du Yanmar. Première rasade avec un peu de tonic, et pour les suivantes on oublie le tonic.
Le soir tombe, les deux marins nous laissent et regagnent le club où Bob héberge, nourrit et abreuve Daniel's qui n’a sans doute plus d’autre compagnie. Les autres membres du club sont partis. Bob possède toutes les clés, sauf celle du bar clôturé par une sorte de volet métallique qui descend du plafond.
« Ils sont confiants et réalistes » ajoute t il.
Nous nous douchons, puis repas à bord. Les environ n’incitent guère à la promenade. Jean avouera plus tard opérer un retour sur lui-même pour lutter contre le blues et la déprime que lui inspirent ces docks.
Vendredi 15 août:
Le temps semble ce matin là s’écouler lentement. Il fait frais. Le vent porte à l’Ouest et pourtant nous sommes bloqués dans notre progression. Cette impuissance est source d’amertume. Pour tuer le temps, nous nous promenons avec Anna dans la petite bourgade de Gravesend . Quelques courses et retour à bord où, comme hier, mon cousin ronge son frein. L’œil rivé sur la pendule nous attendons trois heures. Par une savante manœuvre de retournement le Lorelei étrave pointée vers la porte de l’écluse guette la venue de l’éclusier, qui ne prend son service que pour nous.
Saluts, au revoirs, et remerciements à tous les nouveaux copains qui nous ont consacré du temps, des sourires et pas mal de coups à boire pour pas un rond.
Quel soulagement lorsque nous nous glissons dans l’écluse enfin ouverte pour sortir de ce piège à rat. Devant le club nous voilà bientôt amarré à une bouée jaune. Jean et moi imaginons des dispositifs complexes pour éviter qu’elle ne cogne contre la coque, sous l’effet contraire des vents et des courants, dont nous sommes le jouet.
Le reste de la journée est encore fertile en rebondissements : La cocotte minute a disparu. Enquêtes, recherches, et conclusion. Elle a été oubliée dans la cuisine du club lors de la vaisselle. La cuisine du club, dont nous sépare désormais la Tamise et ses courants. Une croisière sans ma SEB chérie, qui m’accompagne depuis des années ! Pas question . Je gonfle l’annexe et j’embarque la marmitonne pour la reconquête de la gamelle oubliée.
Un vieux plaisancier au mouillage voisin nous hèle :
« Prenez mon annexe rigide vous remontrez plus facilement au retour contre les courants »
Encore la gentillesse anglaise. Nous voilà Anna et moi dans une petite barque de bois verni qui roule d’un bord sur l’autre. Sur le quai, en haut de l’échelle voici un des marins qui nous tend un tirage photo du remorquage de la veille. Peut on être plus obligeant. ?
Nuit tranquille, seule les renverses de courants nous réveille car la bouée frappe contre la coque.
Je n'ai pas encore trouvé de solutions contre ce phénomène.
16 Aout voire la suite de la croisière
Tamise hazard
Journal de bord du Lorelei Aout 2003